Lorsque ma démarche d’écriture a croisé l’épreuve du deuil, j’ai cherché obstinément comment « écrire sans les mots »
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dire l'indicible, faire œuvre de la disparition, engendrer la forme
de l'absence, représenter le silence
bouleversée par la cicatrice d'un tissu blanc ancien que l'action répétée de "repriser" avait laissée, j'ai décidé d'engager ma démarche d'écriture dans ce geste silencieux qui répare
j'ai découpé un petit carré de drap blanc ancien. j'ai enlevé un fil : ce fut ma façon de repriser
. depuis je n'ai cessé de détisser
j'ai, dans ce processus qui a pris sens au fil du geste, ajouté parfois des fils, tracé des carrés de manière répétitive et obsessionnelle, cousu des graines, tenté la couleur
puis il a fallu réduire, rendre minimal - ce tant du si peu
blanc sur blanc
processus en quête de dénuement et de silence
à nu de mots, tendre vers le dépouillement - où situer l’interrogation permanente du lien, de l’absence, de la mort - un ouvrage qui se détisse // se brode, cicatrise
engager le geste dans ce que l’existence impose - dépossession, dé-saisissement // envisager le fil comme permanente impermanence, comme on se lie et se sépare des êtres et du monde
l’interruption dans la répétition / l’à-peine perceptible
le geste minimal, lent, qui retire fil après fil, fait de l’absence un acte, crée une pensée corporelle de la dis-parition / dis-continuité et invite à un nouvel espace de cohabitation : lignes tangentes, absentes, autonomes, croisées, stèles
chaque tissu œuvre sa fragilité et demande une présence et un regard attentifs. il est, en quelque sorte, un hommage aux disparus et à la vie. là où notre solitude nous engage dans le monde